Je viens de retrouver un texte publié le jour où l’accès au minitel a été définitivement coupé en France. Je n’ai pas retrouvé l’auteur de ce texte, s’il se reconnait qu’il n’hésite pas à me le faire savoir.
Ce 30 juin 2012, France Telecom a décidé de fermer définitivement l’accès au Minitel : dans les jeunes générations, personne ne sait ce que ce truc là a représenté, bien avant l’accès généralisé à l’Internet et au Web, car c’était l’une de ces magnifiques trouvailles technologiques franco-françaises sans aucun avenir. En lui-même, au sens technique strict, le Minitel n’était rien de plus qu’un terminal informatique passif limité à la connexion à un service uniquement franco-français dénommé « Télétel » de « videotext », c’est-à-dire d’un texte en mode caractères s’affichant sur ce petit écran rudimentaire (les fameuses 25 lignes sur 40 colonnes), qui fit fureur dans les deux décennies 1980 et 1990, juste avant la généralisation de l’Internet. Le système empruntait tout bêtement les lignes ordinaires du téléphone, dont le débit, si ma mémoire est bonne, était limité à 75bits/sec. en émission pour 1200 bit/sec en réception si bien que l’utilisateur voyait – avec émerveillement – les caractères se dessiner un à un sur son écran. Jamais avare de chantiers publics dispendieux, le gouvernement français imposa le minitel en le distribuant gratuitement à toute personne renonçant à son exemplaire papier gratuit de l’annuaire téléphonique départemental, ce qui constituait de surcroît l’un de ces arguments écologiques dont la roublardise n’a d’égale que la flagornerie, si répandus aujourd’hui. Pour certains collègues (dont mon humble personne), cet appareil entraîna une véritable révolution professionnelle : en effet, les différents ministères furent sommés de s’en servir pour promouvoir tout un tas d’applications professionnelles s’émancipant du courrier physique et du papier : une aubaine pour les bibliothèques. La jeune garde des bibliothèques s’engouffra dans la brèche pour promouvoir la mise en ligne – au moins en usage professionnel, l’usage public viendrait dans un deuxième temps – des catalogues indispensables dans la vie des bibliothèques. C’est ainsi que fut mis en route, en 1983, le CCN-PS, le catalogue collectif national des publications en série (journaux, revues etc), organisé en centre régionaux de saisie des collections détenues localement. Une épopée ! Ceci étant, comme tant d’autres, je n’eus pas longtemps à me servir d’un terminal Minitel, car les premiers ordinateurs personnels de marque Atari furent rapidement flanqués d’un « émulateur Minitel » qui permettait de travailler normalement sur un ordinateur et de ne recourir qu’à la connexion sur le réseau pour la transmission des données, via le réseau dénommé Transpac (là encore, toute une histoire !). C’était l’époque où il fallait saisir le texte en entrant manuellement le code ASCII des caractères accentués précédé d’un anti-slash, genre 215e pour le « é » si ma mémoire est bonne. Pour accéder à ces services, il fallait composer le 3613 (prononcer « trente-six treize », communication payée par le service appelé), le 3614 (communication payée par l’utilisateur appelant) ou encore le célèbre 3615 (prononcer « trente-six quinze »), le « kiosque » qui devint l’un des synonymes de « minitel » dans le langage courant. Sans oublier le 3611 toujours dédié à l’annuaire téléphonique… et le 3617 CCN pour l’accès au CCN-PS ! (dans le même genre, il y eut aussi « téléthèses » et le « pancatalogue »). Dans les années 1984-1988, le minitel s’ouvre aux « messageries » de toute nature, dont la « messagerie rose » qui allait faire fureur en englobant les sites dits de « rencontre-relation » plus ou moins innocents, versant plutôt dans le racolage voire la prostitution. Dans le monde professionnel, surtout dans la fonction publique, ce développement de la messagerie prit une grande ampleur : le travail sur les notices des catalogues de bibliothèque s’accompagna ainsi d’une messagerie permettant de formuler toute sorte d’objections et/ou de vitupérations sur la façon de cataloguer des collègues, délicieux sujet de polémiques sans fin. Dans le secteur commercial, les chaînes de vente par correspondance comprirent rapidement elles aussi tout l’intérêt de ces catalogues en ligne ; la SNCF pensa même à diffuser ainsi ses horaires, c’est dire si l’emprise de ce petit bidule fut énorme ! Durant toute cette période, le gouvernement français poursuivit la distribution gratuite du terminal « Minitel » à toute personne renonçant à son exemplaire papier de l’annuaire départemental. En 1985, environ un million de terminaux Minitel sont implantés dans les foyers, générant environ un million d’heures de connexion par mois ; en 2000, le terminal Minitel (à l’esthétique toujours aussi stalinienne, pur produit de la proverbiale fantaisie des ingénieurs) décore environ 9 millions d’habitations, pour environ 25 millions d’utilisateurs adeptes de sa célèbre prise gigogne en « T ». Il paraît que les gouvernements successifs dépensèrent environ 8 milliards de francs français dans cette magnifique invention qui rappelle au choix l’échec du format SECAM de la télévision en couleurs ou de l’avion supersonique Concorde dans le transport aérien. Le succès du Minitel français fit des envieux. Les collègues allemands de Freiburg-im-Breisgau en parlaient souvent, car leur gouvernement n’avait mis au point qu’une pâle copie fort coûteuse sous le nom de « Bildschirmtext » (textuellement : texte sur écran) et la municipalité de Freiburg fit des pieds et des mains pour être raccordée au minitel français ! A partir du moment où les connexions à Internet supplantèrent (dans les années 1990) le recours au Minitel, les spécialistes s’affrontèrent en débats aussi longs que stériles pour établir si oui ou non le gouffre financier dénommé minitel avait au moins eu le mérite de familiariser la population gauloise à la télématique : cette querelle byzantine est toujours en cours, vous pouvez y participer si vous avez le cheveu grisonnant