Cheveux longs et algos courts.

1966. Un chanteur aux cheveux longs, Antoine, explique que sa mère lui a dit d’aller les faire couper. Lui veut mettre Johnny en cage à Medrano. Le Johnny en question, lui répond en enregistrant « Cheveux longs et idées courtes ».    2019. Instagram efface les photos de petits garçons torse nu au motif qu’ils ont les cheveux longs. Et que l’algorithme les identifie donc comme des petites filles. Et que des petites filles torse nu sur Instagram c’est interdit. Rapport à l’interdiction de montrer un téton féminin. Sur Instagram, sur Facebook, sur TumblR, bref, partout.    Il y a une encyclopédie en 9 volumes à écrire sur l’histoire de la pilosité sur les internets et la manière dont elle façonne notre rapport au corps au travers des interdits mis en place dans le grand filtre de la pudibonderie que l’on désigne communément sous le nom de réseaux sociaux et dont Instagram est la métonymie parfaite. Sur l’histoire des poils tout court (enfin de la pilosité, pas l’histoire des poils courts), vous avez déjà la remarquable série « Poilorama » d’Arte, et la certes plus aride mais non moins remarquable et beaucoup plus exhaustive « Hair Studies » bibliographie de Jean Da Silva, sous-titrée « Pour une historiographie de la pilosité. » Du côté des internets donc, si tu es une femme, la vie est globalement un long fleuve pas si tranquille que ça mais à condition que tu sois épilée. Parce que sur les internets comme ailleurs, épilation féminine et domination masculine sont les deux faces d’une même médaille. Fleuve pas si tranquille secoué de réguliers affluents polémiques ou militants, émancipateurs ou castrateurs, mais toujours in fine humainement arbitrés et algorithmiquement exécutés dans le sens du poil, qui est aussi celui de la norme sociale dominante dans les meetings du tea-party américain avec la double axiomatique suivante : « Sois prude et tais-toi » et « Sois glabre et l’on te verra. »    Entre reconnaissance assumée de l’hirsutisme (qui touche 6 à 10% des femmes), tentative de banalisation (body-positivisme) des poils sous les bras présentée comme une « nouvelle mode » dès 2015 sur Instagram, et le désormais presqu’institutionnel défi du #Januhairy consistant – pour les femmes toujours – à cesser de s’épiler en Janvier, la pilosité des corps féminins occupe une place tout à fait à part dans la capacité prescriptive et dans la tolérance normative des réseaux sociaux. Et maintenant voici donc que la longueur des cheveux s’en mêle et s’emmêle puisqu’Instagram efface les photos de petits garçons torse nu au motif qu’ils ont les cheveux longs et que l’algorithme les identifie comme des petites filles. Et que des petites filles torse nu sur Instagram c’est interdit. Rapport à l’interdiction de montrer un téton féminin.  Comme je l’écrivais au début de cet article. Mais revenons un instant sur le saut temporel qui nous mena de la longueur de cheveux des beatniks de 1966 (dont notre Antoine) à celle des petits garçons d’Instagra

Source : Cheveux longs et algos courts.